Fiche 35 : Être présent au Seigneur dans la prière
Frédéric Fornos sj, Réseau Mondial de Prière du Pape
Chloé me demande: «Dès que je veux prier, c’est alors que me viennent mille pensées et préoccupations… comment faire pour être présent au Seigneur dans la prière?»
Connais-tu Évagre le Pontique ? Il peut nous aider. Il est né au IVe siècle dans le Pont, une région d’Asie mineure (l’actuelle Turquie). Il a été proche de grands hommes et femmes de Dieu de son temps, comme saint Grégoire de Nazianze ou Mélanie l’Ancienne et Rufin, à Jérusalem. Il a surtout été un Père du Désert égyptien, un grand écrivain spirituel qui a marqué toute la vie monastique d’Orient et d’Occident. Entre de nombreux traités, il a écrit 153 maximes sur la prière qui, comme les 153 poissons pêchés au lac de Galilée sur les indications du Christ ressuscité (Jean 21, 1-14), disent la plénitude de ce traité.
Comme cela arrivait dans le désert égyptien, lorsqu’on allait voir un Père pour avoir un conseil, ce ne sont pas de longs discours mais des sentences ou maximes assez courtes qui sont données à goûter et méditer dans ce Traité. En effet, rien ne sert de courir à la sentence suivante, de vouloir savoir à tout prix, si on ne laisse pas transformer son cœur. Cela demande du temps, de la patience. Il s’agit de goûter et savourer ces paroles sur la prière, de les méditer, afin que le sens soit donné. Si tu ne comprends pas, ne force pas, médite ces paroles avec un cœur pauvre et humble afin d’en découvrir le chemin. «Père, Seigneur du ciel et de la terre, je proclame ta louange: ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout-petits» (Matthieu 11, 25).
Je t’invite à te nourrir de la tradition spirituelle de l’Église pour grandir dans la prière et dans ta relation au Seigneur. Elle est vraiment très riche. Bien sûr, il y a les Pères du désert, mais aussi de nombreux Pères de l’Église, ainsi la voie spirituelle bénédictine, carmélitaine, dominicaine ou franciscaine, et bien d’autres. Voici quelques « miettes spirituelles » d’Évagre le Pontique sur l’importance de se disposer pour prier. Je vais en commenter deux.
Chercher Dieu ou se chercher soi-même ?
« Vois si tu es vraiment présent à Dieu dans ta prière, ou si tu es vaincu par la louange humaine et poussé par le désir de la capter, en exploitant le prétexte de la longueur de ta prière » (no 41).
Qu’est-ce que je cherche lorsque je prie ? Est-ce que je cherche à être présent au Seigneur ou est-ce que je me recherche moi-même ? Évagre nous dit que parfois nous ne sommes pas présents dans la prière parce que nous cherchons « la louange des hommes ». Qu’est-ce à dire ? Lorsque nous prions avec d’autres, ou dans une église ou un oratoire, il pourrait arriver que nous priions longuement pour que les autres pensent ou disent du bien de nous : « C’est un homme (ou une femme) de prière », « Voyez le temps qu’il passe à prier », « Regardez sa fidélité à la prière ! » Or, prier est une réponse gratuite à l’amour de Dieu. Même en priant seul, on peut se chercher soi-même, chercher à correspondre à une image idéale de soi, chercher à « être bien vu » de Dieu. Pour être vraiment présents à Dieu dans la prière, nous avons à le chercher lui seul, sans attente intéressée, gratuitement.
Pourquoi t’inquiètes-tu ?
« Tu ne saurais prier avec pureté si tu es embarrassé de choses matérielles et agité de soucis continuels ; car la prière est suppression de pensées » (no 71).
Les pensées font obstacle à la prière, à la rencontre du Seigneur. Évagre ne parle pas de n’importe quelles pensées, mais de celles qui concernent les « choses matérielles » et les soucis de la vie. Il suffit, en effet, de s’arrêter, faire silence et désirer prier, pour qu’arrivent une multitude de pensées : « ne pas oublier ceci ou cela tout à l’heure » ou « tel rendez-vous » ou ruminer tel souci. Comment « supprimer » les pensées ? On ne peut pas vraiment, mais on peut ne pas s’y rendre attentif, les laisser passer comme des nuages dans le ciel. Avec l’expérience cependant, si on est présent à son corps et à sa respiration, cela nous aide à « passer de la tête au cœur », à être présent ici et maintenant au Seigneur et à lui seul. En fait, si je me rends présent à deux endroits à la fois, par exemple ma respiration ou ma présence corporelle et la Parole de Dieu que je médite, je ne peux pas me laisser entraîner par d’autres pensées. Alors, je suis vraiment présent au Seigneur dans la prière. La « pureté » dont parle Évagre concerne la clarté de l’esprit, n’être ordonné que par une seule chose, la recherche du Seigneur : « Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour bien de choses. Une seule est nécessaire », dit Jésus (Luc 10, 42).