Bien vivre ensemble, ça s’apprend dès le plus jeune âge
Claire Jeanpierre, et le Réseau Mondial de Prière du Pape en France
Élisabeth et Alain interviennent depuis trois ans en école primaire à la demande des enseignants pour animer des ateliers philosophiques. Ils sont tous deux passés par une formation SEVE – Savoir Être et Vivre Ensemble -, et consacrent du temps pour que les jeunes apprennent à réfléchir par eux-mêmes, à dialoguer et à s’écouter.
Élisabeth, qu’est-ce qui vous a amenée à suivre une formation SEVE ?
Je suis orthophoniste à la retraite, j’aime le contact avec les enfants. J’ai vu par hasard un reportage sur cette formation créée après les évènements du Bataclan, sous l’impulsion du philosophe Frédéric Lenoir, et je me suis sentie appelée à m’inscrire pour donner du temps aux jeunes en les aidant à mettre en place les bases d’un dialogue fondé sur l’écoute et la non-violence. J’ai été surprise de constater que je n’étais pas la seule. Depuis 2016, 4000 personnes ont suivi cette formation, ce qui montre un besoin mais aussi une réelle volonté de s’investir dans l’éducation de la jeunesse au « vivre ensemble ». La plupart étaient des professeurs venus chercher des outils pour aborder des sujets philosophiques et de société avec leurs élèves. Cette formation ouvre la possibilité d’intervenir dans les classes de la moyenne section de maternelle à la terminale. Les ateliers philo peuvent trouver leur place dans le programme « Instruction civique » d’enseignement de l’Éducation nationale ; cette formation peut vraiment aider les enseignants. Ils peuvent aussi faire appel à des personnes formées, comme nous, pour intervenir dans les classes.
L’ambition de ce parcours est bien de généraliser la pratique de l’attention et du débat philosophique avec les enfants et les adolescents pour les aider à grandir en discernement et en humanité.
Donner aux enfants, les adultes de demain, des outils pour dialoguer jette les ponts d’un vivre ensemble plus apaisé.
Comment se passe une séance d’atelier philo ?
Les enseignants choisissent un thème(1) en fonction de ce qu’ils étudient ou ressentent comme besoin pour leur classe. Cela peut concerner l’environnement, les droits et les devoirs, la solidarité, le bien commun, les différences, le jugement d’autrui et la moquerie, le bonheur, le bien et le mal, les émotions, la liberté, etc. Nous commençons par expliquer le terme « philosophie » qui veut dire « amour de la sagesse », et nous insistons sur l’objectif : savoir réfléchir, penser, dialoguer et chercher ensemble des solutions pour mieux vivre en société.
La séance commence par un moment d’intériorité. On aide les enfants à se mettre en silence, à l’écoute de leur respiration, de leurs émotions, en laissant de côté ce qui les agite et les disperse. Cette pratique de l’attention favorise grandement l’écoute ultérieure.
Pour faire découvrir le thème, nous utilisons un support artistique ou littéraire. La première séance est consacrée à la découverte de ce support, elle vise à une appropriation du thème. On mesure en fin de séance ce qu’ils ont compris ou ce qui pose difficulté. Lors de la deuxième séance, on ouvre le débat philosophique de manière ritualisée. On choisit parmi les enfants un volontaire pour être secrétaire, un autre pour être dessinateur, un troisième pour faire circuler le bâton de parole. Ces trois enfants-là ne s’exprimeront pas pendant le débat mais montrerons, en fin de séance, leurs écrits et leurs dessins qui feront trace du débat. Chacun doit écouter l’autre jusqu’au bout, sans lui couper la parole. Le bâton de parole que fait circuler le responsable facilite cette attitude d’écoute. Les enfants réagissent à la parole exprimée en donnant leur point de vue et en cherchant à l’argumenter. Nous-mêmes ne donnons pas notre avis mais nous soulignons ce qui est dit et qui nous parait important. Nous intervenons pour relancer le débat ou le recentrer si nécessaire. Cette écoute permet une fécondité.
Auriez-vous une anecdote qui vous a marquée ?
Oui, c’était en CM2, sur le thème « justice et vengeance ». L’objectif était d’aider les enfants à faire la différence entre un acte juste et un acte de vengeance. Dans la classe, nous avons senti une scission entre un groupe qui pensait que l’adulte doit intervenir pour faire régner la justice en gérant les sanctions possibles, et l’autre qui pensait que l’on peut se faire justice soi-même, bien que l’on soit des enfants, pour se défendre du tort subi. Un garçon a même dit : « c’est bien la castagne, parce que c’est la vie ». La dimension du mal commis dans un acte de violence semblait absente. L’autre groupe d’enfants a pu s’exprimer, lui faire comprendre le mal commis, et il a pu entendre. Laisser les émotions se dire sans jugement a permis une mise à distance, le dialogue a pu s’établir.
Propos recueillis par Claire Jeanpierre, Réseau Mondial de Prière du Pape en France
(1) « Pourquoi et comment philosopher avec des enfants », sous la direction d’Olivier Blond-Rzewuski, Ed. Hatier, 352 p., 25,50 €. Théorie et 30 fiches thématiques pour cerner les enjeux des pratiques philosophiques et développer leur mise en œuvre.
Pour en savoir plus sur l’association SEVE, visitez le site de l’association.
A visionner, « Le cercle des petits philosophes », 2019, de Cécile Denjean, documentaire pour tout public, en DVD ou VOD.