Ce qui libère des drogues, c’est l’amour
Propos recueillis par P. Thierry Monfils sj,
Thierry N’Guessan Yavo est originaire de Côte d’Ivoire, il vit dans la rue aujourd’hui à Luxembourg ville. Il a participé avec l’équipe du RMPP Luxembourg au pèlerinage à Rome en juin 2019. Il témoigne de sa propre expérience pour nous aider à prier
« Pour toutes les personnes sous l’emprise d’addictions afin qu’elles soient soutenues sur leur chemin de libération. »
— Thierry, pourquoi ou comment débute pour les personnes à la rue cette addiction à la drogue ?
Prendre un produit psychotrope, c’est du mal qu’on se fait à soi-même, au lieu de s’en prendre aux autres. On essaie de se protéger de certaines agressions, surtout au niveau de la rue car on est abandonné, victime de la mauvaise humeur des autres. On en prend pour éviter de craquer, de péter les plombs, il vaut mieux ça que de prendre une hache et de faire des ravages, ou de se suicider. On se drogue parce qu’on n’est pas bien dans sa peau, qu’on est en échec permanent, parce qu’on souffre d’être un clochard, d’être privé de sa vie de famille, de ne pas voir son enfant. La drogue est un plaisir lourd de conséquences. […] Il y en a qui tombent dans l’addiction pour alléger une peine, ou qui s’y cachent pour mourir.
-Le Pape parle de « libération » des addictions. Qu’est-ce que c’est, être libre de la drogue pour vous ?
La libération, c’est que l’être humain fasse parler sa créativité, qu’il s’exprime. L’homme a été créé à l’image de Dieu, il aspire à créer. La libération de l’addiction se concrétise par l’abstinence, et ça passe par une gestion de la consommation de drogue, de telle sorte qu’elle commence par consommer moins souvent, puis qu’elle amène entrer dans de nouvelles habitudes.
La libération absolue, c’est pour moi une chimère ; une fois qu’on a été pris, on ne peut plus s’en passer. La drogue dure marque tellement profondément qu’elle laisse des marques indélébiles, comme l’alcool. C’est se mentir à soi-même de se dire qu’on n’y touchera plus. C’est une illusion de dire qu’on va se libérer totalement de l’addiction.
-Un ami pris dans la drogue me disait « pour se libérer, il faut surtout le vouloir ». Avez-vous l’expérience de cette démarche et avez-vous déjà soutenu quelqu’un ?
J’ai fait cette expérience que lorsqu’on aime, il n’y a place ni pour la drogue ni pour les autres, il n’y a que l’autre, aussi égoïste que ça puisse paraître : rien ne compte à part l’autre. On a ce besoin d’aller vers l’autre, d’aider l’autre, de connaître ses problèmes, de pouvoir ensemble s’épanouir sous un ciel bleu.
Je me rappelle ce temps où j’étais amoureux. Mon amie et moi, nous nous sommes aidés mutuellement. C’était une belle parenthèse de vie. Je n’ai rien dit de spécial, rien fait de particulier, à part aimer sans condition. Ça nous a permis d’arrêter de consommer un temps… L’amour libère de la drogue, car il fait vivre : la famille, l’amitié, la convivialité, la croyance, la prière, les choses simples de la vie. L’autre, devient notre nouvelle « addiction », une bonne addiction, celle de la fidélité.
Quant à aider l’autre à s’en sortir… je ne peux pas prétendre avoir aidé. J’ai participé à, ou bien, j’ai dépanné. Je suis moi-même à la rue, charité bien ordonnée commence par soi-même. Celui qui aide, c’est Dieu ! Et s’il a inspiré en moi des actes, des paroles, c’est de son ressort. C’est grâce à Dieu, mais c’est son mystère. Et Dieu choisit ses instruments, à travers les personnes, pour apporter une part de bonheur à des petits : de l’amour, un sourire. Mais ce que nous faisons c’est du dépannage, donner de l’argent… La seule personne qui peut s’en sortir, c’est la personne même.
— Thierry, vous m’avez dit un jour « la bonne addiction, c’est l’addiction à Jésus ». Cette addiction-là rend libre ?
Oui, « l’addiction » à la croyance en Dieu. Cette addiction fait couler la force du Saint-Esprit dans nos veines et porte l’amour de la Vierge Marie dans nos cœurs. Jésus, le Christ, c’est le Fils de Dieu. Quand on prie, on ne fait pas de bêtises, on est en relation avec Dieu, je pense à la prière comme l’exercice d’une liberté individuelle. La prière peut ouvrir une relation qui fait passer un stress : quand on apprend un deuil par exemple, et il y en a beaucoup autour de moi, dans la rue.
— Thierry N’Guessan, vous êtes venus à Rome pour les 175 ans de l’Apostolat de la Prière. Qu’est-ce que ça vous a fait, d’être invité à ce pèlerinage ?
Je l’ai vécu comme une sorte de bénédiction. La vie est un long pèlerinage qui mène vers la maison de Dieu. C’était l’une des étapes de cette vie. Une étape qui restera dans ma mémoire.
Je souhaite beaucoup de courage aux structures qui œuvrent pour les toxicomanes, car ceux-ci sont victimes de beaucoup d’injustices. […] Je suis heureux d’être dans le Réseau de Prière du Pape. Que Dieu m’accorde sa bénédiction.
Propos recueillis par P. Thierry Monfils sj,
Réseau Mondial de Prière du Pape – Wallonie Bruxelles et Luxembourg