Devenir petit, condition pour l’accueil des petits et blessés
Équipe FranceComment avoir un cœur ouvert aux personnes blessées que le Seigneur nous donne de croiser sur la route ? La rencontre de Jésus avec un légiste éclaire le chemin intérieur à faire pour se disposer à cela, selon l’intention de prière du pape de ce mois : « Pour l’accueil généreux des victimes de la traite des personnes, de la prostitution forcée et de la violence. »
Jésus compose pour lui la parabole du Bon Samaritain. Notons que devant l’urgence, on y voit le Samaritain agir sans demander l’avis du blessé. Si le blessé est conscient, le respect oblige d’agir avec son accord. Lorsque Jésus approche quelqu’un, il est animé de ce respect. Le passage d’évangile (Lc 10, 17-37) que nous travaillons ici montre comment le légiste s’ouvre à la rencontre de Jésus. Lorsqu’il rencontrera à son tour un blessé, une victime, il aura à mettre en œuvre la manière dont Jésus a agi avec lui. Dans le même temps, le blessé, selon sa disposition, aura aussi un chemin d’ouverture à faire.
Situation de départ : Un légiste ose réagir
« Et voici qu’un légiste se leva, et lui dit [à Jésus] pour l’éprouver : « Maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle ? »
Jésus a envoyé les 72 disciples en mission deux par deux. Ils en reviennent tout joyeux. En les écoutant, Jésus tressaille d’allégresse. Ils partagent une joie commune. Le Père n’a pas révélé les secrets du Royaume aux savants mais aux tout-petits !
Un légiste, savant de la Loi, intervient. On peut comprendre qu’il soit agacé de cette exubérance qui ne convient pas à des Juifs respectables, gêné des paroles réservées aux disciples et irrité des mots de Jésus envers les savants. Il s’est senti visé. Avec sa question il revient aux choses sérieuses : « Que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » Jésus accueille cet homme. Ils vont cheminer.
Et moi, ne suis-je pas parfois agacé, blessé par des attitudes ou des remarques qui me dérangent dans l’Église ou dans ma vie ? Ces agacements peuvent être comme ici un bon point de départ pour un chemin.
Pas 1 – Jésus part de la loi, sujet central pour le légiste
Le légiste répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de tout ton esprit et ton prochain comme toi-même ».
À la question de Jésus le légiste répond : « Tu aimeras le Seigneur de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ». Il connaît la Loi, mais il ne l’entend pas vraiment car il est soucieux de lui-même et de son salut. La question : « Que dois-je faire ? » l’occupe. Il est savant et à demi mort ! Jésus ne lui fait pas de reproche ; au contraire, il encourage celui qui cherche « la vie (éternelle) » : « Tu as bien répondu, fais cela et tu vivras ». Le légiste est au pied du mur. Un mur qui est pour lui un obstacle. Il observe la loi comme un sujet d’étude mais il ne l’observe pas au sens de la mettre en pratique. Comme une flèche, la parole de Jésus a touché un endroit qui fait mal, l’endroit qui n’est pas vivant.
M’est-il déjà arrivé de recevoir de Jésus une flèche qui touche profondément un point secret qui fait mal ? Comment ai-je réagi ?
Pas 2 – Jésus fait entrer le légiste dans une histoire composée pour lui
« Un homme descendait de Jérusalem à Jéricho, et il tomba au milieu de brigands… »
Touché, le légiste ne veut pas en rester là. « Qui est mon prochain ? » murmure-t-il. Jésus ne lui donne pas une réponse intellectuelle. Il invente une histoire pour qu’un travail intérieur se fasse. Voilà ce que l’on peut imaginer du chemin intérieur du légiste.
Au centre, un homme blessé qui ne peut s’en sortir seul.
‟En ce moment, cela pourrait être moi, je suis agacé par les disciples et blessé par Jésus.”
Passent un prêtre puis un lévite qui se détournent.
‟Ces deux-là me ressemblent, sourit-il ! C’est presque ma caricature.”
Un Samaritain arrive ; il est touché de compassion. Il le soigne, le conduit à l’auberge, paye et poursuit son chemin.
‟Un Samaritain, pouah ! Celui-là, ce n’est pas moi, tout nous oppose. Bon, ce n’est pas le moment de faire la fine bouche car dans son malheur, l’homme blessé a de la chance de le rencontrer. Et… et si le Samaritain était ce Jésus qui prend le temps de m’écouter ?
Non, je rêve ! Il me porte, il paye pour moi. Un tel bonheur !”
L’histoire dite par Jésus fait son travail. L’homme était fermé, il s’ouvre.
À mon tour, j’accueille l’histoire de Jésus en pensant à ma propre situation. Comme le légiste, je joue avec les personnages, je cherche l’ouverture.
Pas 3 – L’histoire est finie, la vie se poursuit autrement
« Lequel de ces trois s’est montré le prochain de l’homme tombé aux mains des brigands ? » Le légiste répondit : « Celui qui a exercé la miséricorde envers lui. »
Le légiste est touché par l’histoire. Il s’est reconnu dans plusieurs personnages. Jésus le fait atterrir pour qu’il ne reste pas à rêver : « Qui s’est montré le prochain de l’homme blessé ? » La question n’est plus : « qui est mon prochain ? » mais : « qui s’est montré le prochain ? » Le légiste répond avec assurance : « C’est celui qui a exercé la miséricorde ». Et Jésus conclut : « Va et toi aussi, fais de même ». Notons que c’est le légiste qui a trouvé le mot ‟miséricorde” ! Ce mot résonne maintenant en lui.
Les mots de Jésus ressemblent aux mots utilisés au début de la rencontre : « Fais cela et tu vivras ». Si nous retenons seulement de cette histoire qu’il faut exercer la miséricorde, nous serons comme le légiste qui sait réciter la Loi, mais ne sait pas la mettre en pratique. Et nous serons bien malheureux.
Et moi, quel chemin le Seigneur cherche-t-il à me faire faire aujourd’hui ?
Daniel Régent sj, Equipe France
Relisons ce qui s’est passé.
Avec Jésus, le légiste a fait un chemin ; c’est cela qui importe. Au point de départ, il était irrité de la joie des disciples et blessé des paroles de Jésus sur les savants. Travailler la Loi, c’est sa vie et il s’est senti rejeté. Sauf à être blindé, c’est dur à entendre.
Jésus ne l’a pas laissé, il l’a questionné avec respect, encouragé. De son côté le légiste n’a pas coupé les ponts, il a répondu. C’est une force et une grâce de réagir ainsi. Du Cœur de Jésus est montée cette histoire et le légiste s’est laissé prendre. Il s’est reconnu dans l’homme blessé. Il a été conduit jusqu’à l’auberge qui peut représenter la vie éternelle qu’il cherchait. Il mettait toute sa force dans l’étude pour y parvenir. Il réalise maintenant que Dieu en Jésus conduit chacun dans les événements et que tendrement il fait miséricorde. Il invite le légiste à devenir Samaritain-Jésus.
Libre, le légiste n’aura plus besoin de s’identifier aux savants. Délivré, il pourra poursuivre son travail d’étude et se rendre attentif à ceux qu’il trouvera à demi morts sur la route, comme lui l’était sans le savoir. Allant son chemin il se laissera toucher comme il l’est maintenant. Son repère pour agir sera la Loi visitée par la joie miséricordieuse, une Loi de vie.
Remarque : Certains peuvent ressentir qu’ils ne sont pas tombés sur n’importe quels brigands, mais que Dieu lui-même s’est mêlé à la bande. C’est bien sûr une manière de parler. Dieu, bandit de grand chemin et Samaritain miséricordieux. Mystère de ce contraste. Sainte Thérèse de Lisieux parlait du « doux voleur » qui lui prenait sa santé. Elle pensait au Fils de l’homme viendrait comme un voleur (Mt 24,43-44). Qu’il nous soit donné de ne pas rester sur la seule première affirmation : « Dieu, brigand » pour avoir le prétexte de lui fermer la porte.