« Dieu est en prison, il n’y a pas de doute »
Marc, aumônier catholique dans un centre de détention.
Le pape François disait aux détenus de Milan en 2017 : « Vous êtes le cœur de Jésus blessé ». La prison est un terrible lieu de souffrance, le pire y cohabite bien souvent avec le meilleur de l’homme. Le Christ y est-il tout particulièrement présent ? Quelle expérience peut-on y faire de sa proximité ? Marc, aumônier dans un centre de détention, nous livre son regard et ses mots sur sa mission, celle d’un homme de paix au service de Dieu et de ses frères. Qu’il nous aide pour prier
« pour que ceux qui souffrent trouvent des chemins de vie en se laissant toucher par le Cœur de Jésus. »
« Ceux qui entrent pour la première fois en prison expérimentent à quel point l’enfermement et la privation de liberté constituent un choc très douloureux. Les contraintes nombreuses, le non-choix de ses codétenus de cellule de 9m2 à partager à 2 ou 3, entrainent violence et désespérance ; le suicide n’y est pas rare.
En détention, je ne peux intervenir qu’à la demande de l’un des détenus de la cellule et avec l’accord des autres ; je suis le seul autorisé à y pénétrer, avec les surveillants. Ma première mission, c’est de créer un lien de confiance. Bien souvent, on me demande : » Pourquoi venez nous nous voir alors que nous sommes des rebuts de la société ? » Je réponds que c’est ma foi qui m’invite à cela : « J’étais en prison et vous êtes venu me visiter. » Mt 25, 36
Au début, j’écoute le silence de la personne en souffrance, il y a beaucoup de choses à entendre dans le silence. J’écoute aussi les difficultés de cette vie passée et de celle de la cellule et tout doucement j’essaie d’ouvrir la personne au dialogue, à l’acceptation de l’autre, à la découverte du bien et du mal (et les codétenus se sentent vite concernés). Lorsque la confiance s’instaure, c’est le déclic, on peut commencer un chemin. A partir du moment où les personnes sortent du déni, elles peuvent avancer. Peu à peu, je les aide à découvrir ce qui est bon en eux, même dans une vie cabossée il reste forcément du positif, quelque chose de bon. S’appuyer sur ce positif est le meilleur des leviers pour avancer dans les échanges. Je recrée du lien, je tente de mettre de la fraternité, je cherche à porter la paix dans cette » jungle ». C’est le meilleur moyen pour que la personne reprenne un peu confiance en elle.
Lorsque je la quitte, je lui dis : » Je prierai pour vous « , et là, à chaque fois, le Seigneur travaille… Pour un détenu, savoir que quelqu’un prie pour lui, porte de l’intérêt à sa personne, cela lui permet de prendre conscience qu’il existe encore.
Oui, le Seigneur travaille ! Cela me dépasse mais je peux dire qu’il me donne sans cesse sa grâce et sa force ; tout m’est donné. Par exemple : je n’ai même pas besoin de préparer les partages bibliques du samedi, c’est la douzaine de détenus qui participent très régulièrement qui m’apportent tout le nécessaire et même plus, pour un partage en profondeur.
L’homme enfermé se met à réfléchir. Il « revoit la copie ». Jusque-là, il a obéi à des conditionnements, du mimétisme. Mais une porte peut s’ouvrir, qui part de son questionnement, acceptant de l’ouvrir sur la foi qui passe par la lecture de la Parole, la prière, la messe. Certains n’iront pas plus loin ou la refermeront à la sortie. Je suis pourtant témoin du nombre important de personnes qui reviennent à leur foi d’enfants ou d’autres qui la découvrent et qui parfois demandent le baptême. Ils nous demandent la Bible et beaucoup d’exemplaires sont très usés car elle est lue de manière très approfondie, pour d’autres ce sera le chapelet ou une croix, pour d’autres encore « prions en Église » ; le Seigneur sait utiliser les chemins appropriés qui nous conduisent vers Lui. Il n’y pas de chemin tout fait. Le Seigneur s’adapte.
« Je suis foutu ! Lui, là-haut que va -t-il me dire quand il va me voir arriver ? » Faire toucher du doigt que la miséricorde du Seigneur est pour tous peut les aider à se remettre debout… La personne qui se découvre pardonnée par Dieu peut comprendre que tout est encore possible.
La Parole prend vie dans le cœur de ces hommes et ces femmes ; elle est pour tous. J’ai bien souvent entendu, après une lecture d’un passage de la Bible : » Mais c’est moi, c’est ce qui m’est arrivé! « . Lorsque nous partageons la Parole ils découvrent combien cette Parole de Dieu est en phase avec ce qu’ils vivent. Les homélies, lorsqu’elles sont partagées, de temps en temps le dimanche, sont d’une force incroyable. L’Esprit Saint souffle dur ! Ces moments-là nous donnent une grande joie. La joie de savoir que le Seigneur est présent dans cette mission au service du pauvre rejoint aux périphéries de nos existences. Sans cette joie et cette force, je ne pourrai pas persévérer.
Je redoute les dégâts du confinement actuel sur ces personnes déjà fragiles avec lesquelles je n’ai pu rester en contact que par lettres (ou par permanence téléphonique organisée de manière anonyme au niveau national). Ils ont besoin de notre prière et de notre regard de compassion.
« Dieu est en prison, il n’y a pas de doute« . Le Christ vient les rejoindre et cela passe par notre regard et notre main tendue. »
Marc, aumônier catholique dans un centre de détention.
Propos recueillis par Claire, Equipe France.