Écouter la souffrance des enfants
Propos recueillis par Claire Jeanpierre, et le Réseau Mondial de Prière du Pape
J’ai beaucoup aimé mon métier, nous dit Marie-Hélène, depuis peu de temps à la retraite. Durant sa carrière de médecin en PMI (protection maternelle et infantile), elle a soigné et protégé les enfants, mais elle a aussi été témoin de leur souffrance.
Pouvez-vous parler de votre proximité avec la souffrance des enfants pendant vos années de médecin en PMI ?
En exerçant mon métier de soignant dans la protection maternelle et infantile, qui s’adresse aux enfants de 0 à 6 ans, j’ai constaté que de très nombreux enfants souffrent chez nous en France !
La souffrance a de multiples visages : le manque d’attention de la part des parents, l’absence de sécurité affective ou matérielle, la brutalité, le peu de confiance accordée, le spectacle de parents qui ne s’entendent pas, voire même la présence de violence, physique ou verbale, au sein du foyer.
Je pense aussi à tous les enfants qui vivent dans des familles migrantes : ils sont sans cesse ballotés d’un endroit à l’autre, ils vivent de très près l’angoisse de leurs parents, leurs soucis du quotidien, et cela ne peut que rejaillir sur leur manière de se développer.
Je pense encore aux enfants dont un des parents est dépressif ou atteint de maladie psychique. On sait combien l’enfant pour se développer a besoin de sécurité matérielle et affective. Quand il y a des carences de ce côté-là, l’enfant développe lui aussi des carences et des troubles de l’attachement.
La misère sociale engendre des situations dont les enfants sont les premières victimes : enfants vivants dans des squats, violence, alcoolisme, parent en prison…
Côtoyer la souffrance, essayer d’agir par tous les moyens, même s’ils sont parfois très modestes, c’est dur ; je me suis souvent sentie bien désarmée, mais je ne regrette rien tant ce métier est riche de sens.
Comment pouvons-nous savoir qu’un enfant souffre ?
C’est une bonne question car le plus souvent il n’a pas les mots ; mais un minimum d’observation de son comportement permet de s’en apercevoir. Son corps parle, l’apparition de symptômes est à décrypter. Il crie, fait des colères, fuit le regard, n’entre pas en communication ou cherche à occuper l’attention. Je me souviens d’un enfant en consultation ; alors que je le changeais, il ne me lâchait pas du regard. Sa maman très dépressive ne pouvait pas créer un lien avec lui, il cherchait à le recréer avec une autre personne ! Tous ces signes, il faut les capter, chercher ce qui se passe ou ce qui s’est passé.
Quand l’enfant grandit, très souvent il cherche aussi à protéger sa famille ; il se retrouve dans un conflit de loyauté et n’ose pas dire ce qu’il vit, surtout lorsqu’il est victime ou témoin de violences intra familiales.
Face à toutes ces difficultés, quels moyens avez-vous eu pour agir ?
J’avais aussi une mission à l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) qui met en place de nombreuses solutions d’aide, comme des aides éducatives à domicile. Ces services font un travail remarquable, souvent d’équilibriste, car ils cherchent à préserver des liens familiaux tout en protégeant l’enfant. Leur but est de lui donner une chance de grandir dans un environnement avec des repères et une sécurité affective pour assurer sa construction personnelle.
Mais parfois il fallait des mesures plus difficiles, comme des signalements judiciaires qui, après les mesures ordonnées par le juge pour enfant, pouvaient conduire à des placements hors de la famille pour protéger l’enfant de sa famille.
Il y a un très beau travail pluridisciplinaire et ce travail d’équipe avec éducateurs, puéricultrices, assistantes sociales, est une force qui nous permet de chercher ensemble des solutions ; des solutions auxquelles les familles n’adhèrent pas toujours. Notre travail consiste aussi à les aider à entrer dans une relation de confiance pour avancer ensemble.
J’ai beaucoup travaillé la parentalité, le lien, et je me suis heurtée aux manques de moyens. Il manque des moyens pour aider aussi les parents et le plus tôt possible, aider les pères à trouver leur place, améliorer les conditions matérielles de bien des familles.
Qu’est-ce qui vous a permis de tenir ?
J’ai beaucoup aimé mon métier. Je me sentais utile et les mamans trouvaient un havre de paix dans notre service. J’ai aussi tenu grâce aux équipes, grâce à tous ces liens de solidarité qui se tissent dans ces lieux. J’ai pu aussi parfois prier pour telle maman ou tel enfant. Et j’ai aussi été accompagnée dans des groupes de supervision ou d’accompagnement personnel.
Propos recueillis par Claire Jeanpierre auprès de Marie-Hélène
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