Il en parle
Marie-Dominique, Equipe France
Marins – Lettres de terre et paroles de mer
Arnaud de Boissieu et Roland Doriol
Marines Editions – 2014
Qui connaît vraiment la vie des marins ? Qui peut imaginer la solitude loin de la famille et du pays, le travail dur pendant des mois d’affilée, l’attaque de pirates au large des mers, le salaire jamais assuré et dépendant du cours du dollar… ? Mais aussi la joie et la fierté de s’embarquer envers et contre tout, et la fraternité vécue !
Deux hommes, l’un de terre dans sa mission d’aumônier, l’autre de mer, qui fut électricien à bord, nous font plonger dans ce monde à la fois rude et vivant, au milieu de marins de toutes nationalités, et lèvent un coin du voile sur leurs conditions de vie. Avec eux nous entrons dans les entrailles des énormes cargos et porte-conteneurs, mais surtout dans le coeur et les sentiments de ces marins, grâce aux mails qu’ils échangent, lorsqu’ils peuvent le faire dans le Foyer des marins d’un port.
EXTRAITS
Le parcours du combattant pour trouver un embarquement
Tu te souviens qu’après notre sortie de l’école, j’ai quitté Cebu et je suis parti directement pour Manille, complètement excité par l’idée de trouver très vite un embarquement. (…) Mais je n’avais pas suffisamment écouté les conseils des anciens quand ils racontaient quel calvaire c’était de trouver un navire sur lequel embarquer. Figure-toi que j’ai attendu trois ans avant de trouver un embarquement comme apprenti. Mail de Jun à Eddieboy – p. 9
Un travail épuisant
Ce qu’on a entendu quand on était élèves est vrai : la difficulté du travail, la solitude, et peu d’occasion de bonheur. Je ne peux pas non plus oublier mon expérience sur mon premier bateau. Il a fallu que je prenne mon courage à deux mains car beaucoup de choses pas très claires se sont passées. La plupart des marins avec lesquels je naviguais alors ne sont pas arrivés au bout de leur contrat parce qu’ils étaient trop épuisés. Mail de Jun à Ken Bryan – p. 26
Le lien avec la famille
Je ne vais pas décourager les étudiants en école maritime mais je vais leur conseiller de ne pas imaginer une vie dans le luxe et l’aventure, et d’être prêts à survivre à la dépression. Pour tenir, demande à ta femme de t’écrire des vraies lettres, pas seulement des mails. Les lettres écrites à la main, ça fait vraiment du bien, comme une bouée de sauvetage pour continuer la vie en mer ! La vie d’un marin sans une lettre ? C’est une chienne de vie ! J’ai souvent regardé la tête de mes collègues quand on attendait le gars de l’agence qui montait à bord avec son gros paquet de lettres sous le bras. Quand le commandant distribuait le courrier, on était comme des chiens à l’affût de ce qui va tomber sous la table… Ceux qui repartaient sans aucun courrier, ils prenaient directement le chemin de leur cabine. Et après ça, le travail à la machine n’était pas facile à reprendre. Mail de Tio à Jun -p. 79
Un aumônier en mission
– Nous avons besoin du prêtre.
– C’est moi.
Notre bateau est neuf, il a été construit au Japon, il y a six mois, et il n’a pas encore été béni. Pouvez-vous le faire ?
– Oui.
(…) De l’eau bénite à gogo, des processions en hauteur, une grotte mystérieuse, des croyants bigarrés et probablement convaincus : aucun doute, il y a du mystère de Lourdes dans une telle bénédiction. (…) Je m’explique en méditant avec Maître Eckhart : « Quand un artiste fait une statue, il n’ajoute pas au bois. Il lui enlève quelque chose, il fait tomber sous son ciseau tout l’extérieur… Et alors peut resplendir ce qui se trouvait caché dedans ». Une bénédiction d’un navire, c’est un travail d’artiste au sens de Maître Eckhart.
Vous êtes bénis, tous les marins du monde… Vous êtes le bois dont on fait les vrais navires. Vous tous, les marins, vous êtes seuls dignes d’intérêt, de bénédictions, d’attention et de tendresse divine. p. 51
Le salaire
Hamisi et Mohamedi se plaignent : les salaires baissent. En fait le bateau est grec, et les salaires aussi : en drachmes, convertis en dollars ; la baisse de l’euro fait baisser leur salaire-dollars. Et ils ont le sentiment d’être exploités ; scandale ou injustice ?
Différentes nationalités
J’ai rejoint mon nouveau bateau en juillet. C’est un porte-conteneurs allemand tout neuf qui navigue entre l’Asie et l’Europe avec une escale à Fos-sur-mer, et quatre nationalités à bord : Allemands, Bulgares, Roumains, et des Philippins comme matelots, au pont et à la machine. (…) Dans mes précédents embarquements, tous les marins étaient Philippins. Là je dois faire attention à un tas de choses. Parfois on ne se comprend pas bien, on n’a pas en tête les mêmes règlements, on ne réagit pas de la même façon. Ça peut créer des tensions. De Kiko à Jun p. 85-86
‟Je suis marin, et la mer est ma vie, ma vocation !”
Marie-Dominique, Equipe France
Pour en savoir plus sur les auteurs
Roland Doriol, prêtre jésuite. Il a navigué 25 ans comme électricien et a passé quinze ans aux Philippines, au Seamen’s Centre de Cebu.
Arnaud de Boissieu, prêtre de la Mission de France. Il a été aumônier dans le port de commerce de Marseille-Fos