La vie à bord
Propos recueillis par Marie Claire, Equipe France
Au cours de sa longue carrière comme navigant, et depuis sa retraite comme aumônier du port du Havre, le P. Guy Pasquier a côtoyé de nombreux marins, dont il a partagé le quotidien. Il témoigne pour nous de ce qui fait la réalité de leur vie, pour nous aider à prier
« pour les personnes qui travaillent et vivent du monde de la mer, parmi eux les marins, les pêcheurs et leur famille. »
Sur un bateau marchand -porte-conteneurs, gaziers, pétroliers, céréaliers, navires frigo, rouliers, chimiquiers…-, quel que soit son pavillon, l’anglais est la langue de communication… En effet, au minimum 2 à 3 nationalités minimum s’y côtoient. Les conditions de travail y sont très règlementées et l’équipage de 20 à 30 marins -suivant son importance- obéit à une hiérarchie très précise. C’est le commandant qui en fait l’esprit, facilitant la relation entre tous pour qu’aucun ne puisse se sentir lésé ; il est à l’écoute et veille par exemple sur la cuisine afin de respecter les goûts en fonction des nationalités. Les marins vivent, officiers et équipage, en carrés où ils mangent et se détendent. Entre eux, l’entente doit être bonne, il ne peut pas y avoir d’animosité.
Un marin n’est pas attaché à un bateau, à un armateur, il signe des contrats de 6 à 10 mois pour les marins Philippins, Chinois, Birmans, Russes, Ukrainiens, Indiens, Indonésiens…, de 2 à 4 mois pour les marins européens (bénéficiant de relèves d’équipage). Ce temps long d’un contrat correspond à une vie de retrait, un enfermement loin de la famille.
L’accès à internet est désormais disponible sur quasiment tous les bateaux, mais souvent payant. Aussi les marins utilisent la messagerie des réseaux sociaux pour communiquer avec leur famille, cela change considérablement leur vie.
Le mot « sacrifice » est employé par les marins philippins ou indiens qui partent 9 mois à bord pour 1 ou 2 mois chez eux. Si leur salaire améliore grandement le sort de la famille, eux vivent une frustration permanente. Ainsi ils ne sont pas là pour la naissance de leurs enfants, ne les voient pas grandir et se sentent « étrangers » dans leur famille alors qu’ils sont tout donnés à elle. Mais grâce à eux, les enfants ont une meilleure éducation, grand motif de fierté, véritable promotion familiale et il arrive que leur salaire fasse vivre une vingtaine de membres de la famille élargie. Quant à leur épouse, elle doit à la fois faire face seule à la vie ordinaire sans être chef de famille, laissant cette place à leur mari absent.
La solitude et l’isolement sont le quotidien des marins -il est parfois question de « bateaux prison »-, leur vie est très exigeante par la dureté de leur métier et la longueur des contrats. La plupart ne descendent pas à terre lors des escales (escale courte, travail à bord…), d’où la nécessité des visites. A travers les aumôniers de la Mission de la Mer c’est le rôle des Églises, de les rencontrer à bord, pour échanger, écouter, aider…
Pour ceux qui peuvent descendre du bateau, un accueil par les Seamen’s club est organisé –au Havre par ex. 12 000 marins sont accueillis par an pour 5 500 escales et 150 000 marins de passage-. Les besoins basiques : téléphone, internet, détente, calme y sont pris en compte. Mais ces lieux ont besoin de financements pérennes, de bénévoles pour rester ouverts ou élargir leur temps d’accueil.
Du fait de la pandémie, actuellement, lors des escales dans les ports, les Aumôniers ne sont plus autorisés à monter à bord des bateaux, et les marins restent confinés. Les relèves sont difficiles, particulièrement pour les marins Asiatiques, avec le quasi arrêt des liaisons aériennes. Leurs contrats s’allongent donc et l’absence loin de la famille aussi par conséquent.
Comme si les conditions de vie n’étaient pas assez rudes, la piraterie est une réalité pour les bateaux marchands. Par exemple, dans le golfe de Guinée, des bandes équipées de bateaux prennent en otage les marins et négocient des rançons, ou bien elles détournent les pétroliers pour revendre leur cargaison. Au large du Venezuela, d’autres prennent pied sur les bateaux pour voler l’argent du coffre-fort. Dans le détroit de Malacca, axe majeur de la circulation maritime mondiale -3000 bateaux par jour- Singapour a investi dans des forces armées.
L’abandon de bateaux par des armateurs indélicats est aussi une bien triste réalité. Profitant de vides juridiques, ceux-ci peuvent abandonner navires et équipages dans les ports sans se soucier des conséquences. Chaque année, ce sont des centaines de marins qui sont laissés dans le dénuement, aucune ressource financière (salaires non payés) ni possibilité de rapatriement. Les associations locales doivent alors mobiliser les bonnes volontés pour leur nourriture. En France, les Autorités traitent vite le problème du rapatriement, mais ailleurs ?
La Convention du Travail Maritime gère de plus en plus les droits des marins, il n’en va pas de même pour la pêche industrielle qui échappe à la règlementation et où aucun droit ne s’applique. Les conditions de travail y sont très dures, avec 80-90 personnes à bord souvent venues d’Asie.
Propos recueillis par Marie Claire, Equipe France
Pour en savoir plus sur la mission d’un aumônier de la Mission de la Mer cliquez sur : Dieu les attend à l’escale