La dévotion au Sacré-Cœur de Jésus s’est répandue comme incendie dans l’Eglise occidentale depuis les révélations faites à sainte Marguerite-Marie vers la fin du dix-septième siècle. L’Église lui a conféré une autorité particulière. Les papes en ont rappelé et en rappellent encore l’importance. Mais le discours d’aujourd’hui, s’il insiste sur le Cœur de Christ, laisse de côté le mot sacré qui a pris un sens ambigu dans notre société sécularisée, et il emploie avec la plus grande discrétion le mot dévotion devenu franchement péjoratif. Par contre, le mot cœur reste privilégié et le dessin qui le représente connaît un regain d’actualité. Mais suffit-il de dessiner un cœur ou d’employer le mot dans une chanson pour rejoindre ce qu’exprimaient Marguerite-Marie et ses contemporains dans les années 1680 ? Comment faire le passage de la fin du dix-septième siècle au début du vingt-et-unième sans trahir le sens profond du message originel et sans nous mettre à contre-courant de notre culture et des orientations données par le dernier Concile ?

Chaque époque reçoit de l’Esprit Saint l’art de transmettre l’essentiel de l’expérience chrétienne et d’en renouveler l’expression dans les conditions nouvelles propres à chaque génération. Il importe d’être conscient des différences de sens qui peuvent se creuser sous des formes apparemment identiques, si l’on veut percevoir et la nouveauté et la permanence du message.

Le symbolisme du Cœur a toujours joué un rôle majeur dans la spiritualité chrétienne et il ne peut être question de le laisser de côté. Il ne semble pas pour autant que l’on puisse dire qu’une dévotion au Sacré-Cœur, au sens précis du terme, ait existé avant Marguerite-Marie et son époque. Certes, depuis toujours, la dévotion chrétienne, au sens fort du terme, a privilégié le mot cœur mais il n’était pratiquement pas représenté par une image propre, renvoyant plutôt à la figure de la poitrine et à celle du côté ouvert. En tout cas, il n’était pas institué en objet de dévotion destiné à une diffusion populaire, comme l’ont été le chapelet et beaucoup d’autres pratiques. C’est seulement à la fin du XVIIe siècle que commence une période de l’histoire de l’Église où cette dévotion joue un rôle important. Le graphisme du cœur, représentant la personne du chrétien ou du Christ, vue de l’intérieur, comme centre capable de relations à l’autre, est alors abondamment utilisé par la pastorale, notamment celle des missions.

Continuer cette tradition ne pourra pas se faire sans une transformation des formes. Il est symptomatique à ce sujet que le message de Jean-Paul II à Paray-le-Monial en 1987 ne parle pratiquement plus du Sacré-Cœur, mais du Cœur du Christ, faisant ainsi retour à la source traditionnelle du langage chrétien que le message de Marguerite-Marie a transmis en lui donnant un forme particulière, providentiellement adaptée aux besoins des temps qui nous ont précédés. L’effort est nécessaire d’adapter le vocabulaire et de tenir compte des besoins de notre temps pour qui l’important n’est plus l’urgence d’intérioriser un sacré socialement trop prégnant, et finalement superficiel. Ce serait plutôt l’inverse.