Recevoir et donner à la même mesure
Sébastien Combre, Responsable Service diocésain Diaconie de Toulouse
Sébastien, engagé avec son épouse comme volontaire permanent « Bonne Nouvelle Quart monde » témoigne de son itinéraire personnel dans la réciprocité pour l’accompagnement des familles. Que ses paroles nous aident à prier
« pour que les familles d’aujourd’hui soient accompagnées avec amour, respect et conseil. »
Aujourd’hui je suis père de famille, j’ai 43 ans et 3 enfants. Après une formation d’éducateur spécialisé, j’ai exercé quelques années dans différents foyers de protection de l’enfance victime. Depuis 2014, avec mon épouse, nous nous sommes engagés comme volontaires permanents « Bonne Nouvelle Quart Monde ».
En relisant ma vie, je me rends bien compte que je ne suis pas arrivé là par hasard. Etudiant dans les années 90, nouvellement converti, je papillonnais de groupe de prière en groupe de prière. J’étais touché par les groupes charismatiques, mais la louange ne m’était pas toujours facile et je n’arrivais pas à poser mes difficultés, mes peines du quotidien.
J’ai rencontré les groupes de prière Quart Monde et entrevu pour la première fois ce qu’est la misère. Avant la prière de louange nous avons partagé nos pierres sombres (difficultés rencontrées) : une vieille dame partage que depuis 2 semaines, elle sort pour la première fois de chez elle : il n’y a plus d’ascenseur dans son immeuble et elle habite au 7ème étage ; un homme exprime qu’il a de grosses difficultés avec son psychiatre ; une femme parle de ses enfants placés en institution ; puis vient mon tour… que dire face à tout ça ? la veille mon magnétoscope est tombé en panne. J’en témoigne. Les gens m’écoutent, ne me jugent pas, ne comparent pas leurs peines aux miennes …
Après le temps du partage des pierres lumineuses (joies) vient celui de la louange, et pour la première fois je sens mon cœur monter vers Dieu, les mains tendues vers mes frères ; je comprends pour la première fois la verticalité et l’horizontalité de la croix.
En rentrant chez moi j’ai hâte de revivre ce moment. Je découvre que la fréquentation des familles très pauvres permet de relativiser ses propres difficultés et me sens qu’avec ma culture, mes études, j’ai le devoir de leur venir en aide. Quoi faire ? Je me promets d’y réfléchir, et de prier pour ces familles tous les jours. Le lendemain j’oublie !… et me retrouve 15 jours plus tard à ce même groupe de prière.
Avant même que le partage commence un homme me demande comment je vais, il me dit qu’il a peut-être une solution pour mon magnétoscope et qu’il a prié pour moi cette semaine. Pour moi, cette rencontre a été le commencement de mon cheminement… il me mena 10 ans plus tard à m’engager comme volontaire Bonne Nouvelle. Par cet homme, j’ai reçu de Dieu l’invitation à changer mon regard, à l’inverser même -moi qui avais le désir de venir en aide- et de « prier pour », je découvre que ce sont eux qui prient pour moi et qui tentent de me trouver une solution.
Depuis, je cherche à vivre un compagnonnage avec des familles très pauvres, une rencontre qui nous fait frères.
Cette conversion m’oblige très souvent à refuser toutes les aides matérielles ou financières demandées par les familles du Quart monde. Je suis touché et conforté dans cette démarche lorsqu’une jeune maman me demande de lui prêter 20 euros pour acheter du lait en poudre pour son bébé. Je lui dis que notre amitié est plus importante et que souvent l’argent casse la relation. Elle me répond merci –ce qui paradoxal pour un refus – et deux jours plus tard elle m’invite chez elle pour le repas. Pour les familles très pauvres, l’urgence de leur situation les emprisonne dans un présent sans perspective d’avenir. Aussi, entre 20 euros prêtés tout de suite et une amitié à moyen et long terme, une personne n’hésite pas à prendre les 20 euros.
Avec ce compagnonnage, j’apprends à recevoir et à donner à la même mesure, pour ne pas déséquilibrer notre relation. J’apprends à écouter, non pas parce que l’autre a besoin de parler pour se libérer, mais parce que l’autre et surtout celui qui souffre a quelque chose à m’apprendre que j’ignore. J’apprends à recueillir cette parole comme un trésor pour moi, mais aussi ma famille, ma communauté, mon pays, le monde.
J’apprends à ne pas penser tout seul, mais à penser à plusieurs car « seul on va plus vite, ensemble on va plus loin » (Message final de Diaconia 2013).
Cela rejoint très profondément cette parole de Dieu dans Saint Matthieu au chapitre 11
« Père, ce que tu as caché aux sages et aux savants tu l’as révélé aux tous petits ».
Les familles pauvres ont quelque chose à nous révéler du Royaume de Dieu. Lorsqu’elles nous parlent de miséricorde, de partage, de justice… cela résonne autrement. Et lorsque le dialogue est possible entre les « sages et des savants» et les « petits » dans la réciprocité, c’est toute la théologie, la pastorale, la liturgie… qui prend une couleur plus vivante, plus vraie plus universelle.
Sébastien Combre,
Responsable Service diocésain Diaconie de Toulouse