Témoin d’un pas
sur un chemin de résurrection
Le Réseau Mondial de Prière du Pape 
Dans chaque diocèse, une équipe a été mise en place pour écouter les personnes victimes d’abus de la part de membres de l’Église, clercs, religieux ou laïcs. Christian Jourdane est écoutant pour le diocèse de Toulouse. Il nous partage un peu de sa mission et de son espérance.
Christian Jourdane, pouvez-vous nous expliquer en quelques mots ce qu’est la cellule d’écoute du diocèse de Toulouse ?
Ch.J. La cellule d’écoute est composée de trois laïcs écoutant, formés à l’accompagnement spirituel, deux femmes et un homme, qui sont assistés selon les besoins par une psychologue et un juriste.
Notre mission est d’écouter les personnes victimes d’abus par des membres de l’Église. Cette cellule a été mise en place par l’archevêque en 2016.
Pour chaque rencontre, nous sommes deux écoutants. Notre mission est fondamentalement d’écouter les personnes victimes ; nous pouvons aussi les accompagner pour qu’ils puissent rencontrer l’évêque, ou encore s’adresser aux instances de réparation : l’INIRR – Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation -, pour les personnes victimes de violences sexuelles en milieu ecclésial, ou bien la CRR – Commission Reconnaissance et Réparation – pour les personnes victimes de violences et abus commis par un religieux ou une religieuse.
Qu’est-ce que les personnes victimes d’abus et de violences viennent chercher auprès de la cellule d’écoute ?
Ch.J. Il faut d’abord bien mesurer que très peu de personnes victimes viennent faire une demande. Beaucoup de personnes ont rompu tout lien avec l’Église ; beaucoup aussi n’en sont pas encore à pouvoir parler, mettre des mots sur ce qu’elles ont vécu.
Celles que nous rencontrons viennent essentiellement pour être écoutées, pour être crues. Elles demandent que l’institution Église reconnaisse sa responsabilité dans les violences qu’elles ont subies. L’évêque représente l’autorité de l’Église, et une rencontre avec l’évêque permet à la personne d’être officiellement reconnue dans son histoire, dans sa souffrance, et dans la responsabilité non seulement de l’agresseur mais de l’Église dont les structures et le fonctionnement ont laissé faire de telles agressions.
La demande première n’est jamais financière. Certaines personnes souhaitent poursuivre leur démarche auprès des instantes de réparation. Le mot « réparation » n’est pas vraiment juste car les personnes portent ces blessures toute leur vie, les blessures sont plus ou moins cicatrisées ; en fait c’est un geste qui d’une part signifie la reconnaissance d’une responsabilité et d’autre part veut contribuer aux frais de soin qui pour certaines personnes peuvent être très importants.
De quel chemin êtes-vous témoin ?
Ch.J. Cette écoute est une étape sur un très lent chemin de guérison. Cette première étape de la parole libérée est comme la pierre du tombeau qui se roule. Un commencement à sortir d’un enfermement. La parole met beaucoup de temps à remonter à la surface, parfois des dizaines d’années. Il faut un événement, éventuellement anodin, pour qu’une part d’une histoire enfouie remonte. Une image, un article, une émission, une conversation…
C’est alors le début d’un chemin de vérité – « Celui qui fait la vérité vient à la lumière » (Jean 3,21) -qui participe à un chemin de libération.
Il faut du temps aussi pour que la personne puisse sortir d’un étau de culpabilité. Car elle doit souvent d’abord se prouver que son histoire est vraie ; et le rôle des écoutants est ici essentiel. Les abuseurs sont des personnes perverses qui distillent des violences sous couvert d’empathie et d’autorité spirituelle. Il est difficile de se libérer du regard porté alors sur l’agresseur souvent adulé et admiré. La reconnaissance officielle de l’Église est donc de fait une étape fondamentale.
En quoi cette mission vous déplace t-elle ?
Ch.J. Je suis d’abord frappé par l’ampleur de ces violences. Peu de lieux d’Église sont épargnés. La gouvernance de l’Église est défaillante. Il faut travailler en grande profondeur les structures de notre Église. Car il ne s’agit pas d’« accidents » avec quelques personnes perverses ; il y a une dimension systémique. Il faudrait de la confrontation, du débat, de l’altérité, du « rendre compte » à tous les niveaux de l’Église ; or ce n’est pas sa culture actuelle où il y a de « l’entre soi » et des « sachants » en position de toute puissance.
Je suis impressionné aussi par la profondeur de l’impact chez les personnes qui ont subi ces violences. On ne peut le comprendre qu’en les écoutant.
Mais je suis témoin aussi d’un chemin de libération, qui commence par la parole, c’est un début de chemin de résurrection.
Il ne faut pas avoir peur de parler de cela en tout lieu. Nous devons, chacun à notre niveau, chacun à notre place, aider à faire la vérité en Église. Nous en serons tous bénéficiaires. C’est de notre responsabilité de chrétien bien au-delà de notre cercle.
L’Église reçoit la lumière du Christ de ces personnes qui ont été abusées et qui ont ouvert un chemin de Vérité. Nous ne pouvons que leur être reconnaissant d’ouvrir ce qui était enfermé et permettre à tout le corps de l’Église de bénéficier d’une force de résurrection.
Propos recueillis auprès de Christian Jourdane par le Réseau Mondial de Prière du Pape