Une finance au service du bien commun
Marcel Remon sj, et le Réseau Mondial de Prière du pape en France« Prions pour que les responsables financiers travaillent avec les gouvernements pour réguler les marchés financiers et protéger les citoyens contre leurs dangers. »
L’économie est comme un vaste organisme dont les veines forment un réseau où circule l’argent. Cette image est tirée du texte « Oeconomicae et pecuniariae quaestiones1 », publié en 2018 par la Congrégation pour la Doctrine de la Foi et le Dicastère pour le Service du Développement Intégral.
« En empruntant cette analogie, on peut également parler de la ‘santé’ de cet organisme, lorsque ses moyens et ses structures assurent au système un bon fonctionnement, où croissance et diffusion de la richesse vont de pair. La santé de ce système dépend de celle des actions individuelles mises en œuvre. Quand l’organisme qu’est le marché jouit d’une bonne santé, il est plus facile que soient respectés et promus la dignité des hommes ainsi que le bien commun. Corrélativement, on peut parler d’une ‘intoxication’ de ce corps chaque fois que sont introduits et propagés des outils financiers et économiques peu fiables qui compromettent sérieusement la croissance et la propagation de la richesse, créant aussi des difficultés et des risques systémiques. » (Oeconomicae et pecuniariae quaestiones, 19)
Pas 1 : Non à la nouvelle idolâtrie de l’argent

« 55. Nous avons créé de nouvelles idoles. L’adoration de l’antique veau d’or (cf. Ex 32, 1-35) a trouvé une nouvelle et impitoyable version dans le fétichisme de l’argent et dans la dictature de l’économie sans visage et sans un but véritablement humain.
56. Alors que les gains d’un petit nombre s’accroissent exponentiellement, ceux de la majorité se situent d’une façon toujours plus éloignée du bien-être de cette heureuse minorité. Ce déséquilibre procède d’idéologies qui défendent l’autonomie absolue des marchés et la spéculation financière. De plus, la dette et ses intérêts éloignent les pays des possibilités praticables par leur économie et les citoyens de leur pouvoir d’achat réel. S’ajoutent à tout cela une corruption ramifiée et une évasion fiscale égoïste qui ont atteint des dimensions mondiales. L’appétit du pouvoir et de l’avoir ne connaît pas de limites.
57. L’éthique – une éthique non idéologisée – permet de créer un équilibre et un ordre social plus humain. En ce sens, j’exhorte les experts financiers et les gouvernants des différents pays à considérer les paroles d’un sage de l’antiquité : ‘Ne pas faire participer les pauvres à ses propres biens, c’est les voler et leur enlever la vie. Ce ne sont pas nos biens que nous détenons, mais les leurs.’ (Evangelii Gaudium)
L’argent n’est pas l’économie réelle, il n’en est que le symbole, tout comme l’or n’est pas la vraie richesse, car on ne vit pas d’or. « Quand le sage montre la lune, l’idiot, lui, regarde le doigt » dit la sagesse confucéenne. L’argent est comme le doigt du sage, il peut conduire au bonheur et à la solidarité, mais il n’est pas la vie.
Seigneur, que l’argent ne devienne pas pour moi une idole qui me détourne de toi et des autres. Mais qu’il serve à exercer notre dignité humaine, au service du bien commun.
Pas 2 : La destination universelle des biens

« Dieu a destiné la terre et tout ce qu’elle contient à l’usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice, inséparable de la charité. Quelles que soient les formes de la propriété, adaptées aux légitimes institutions des peuples, selon des circonstances diverses et changeantes, on doit toujours tenir compte de cette destination universelle des biens. C’est pourquoi l’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter, non seulement à lui, mais aussi aux autres ». (Gaudium et Spes, 69, 1)
Dieu dispose seul de tous les droits sur les biens de la création : il est le Seigneur de la création qui est à proprement parler sa possession. Cette référence à la création par Dieu a deux conséquences qui limitent l’extension du droit de propriété. La première limite porte sur le contenu du droit de propriété, venant du fruit du travail. Comme le fait malicieusement remarquer Walter Rauschenbusch2, celui qui creuse la terre pour en extraire du charbon ne peut pas se prétendre propriétaire du charbon, qui n’est pas le fruit de son travail, mais seulement propriétaire du trou. Une seconde limitation est exprimée par le principe de ‘destination universelle des biens’. La propriété est marquée par ce que Jean Paul II appelle une ‘hypothèque sociale’. Les formes excessives de consumérisme ou le gaspillage de biens sont illégitimes (Laudato si, 50) dans la mesure où elles privent autrui ou les générations suivantes. Voler pour survivre est légitime : pour saint Thomas, celui qui prend de la propriété d’autrui parce qu’il en a un besoin vital ne commet pas à proprement parler un vol, parce qu’autrui n’en est pas pleinement propriétaire (IIa IIae, q.66, a.7).
Seigneur, l’argent peut nous enfermer dans une tour d’ivoire, agrippé à notre cassette comme l’avare de Molière. Donne-moi cette connaissance intérieure que tout vient de toi, que tout est don, et que nous ne sommes que des gérants éphémères de la création, pour ta plus grande gloire.
Pas 3 : L’option préférentielle pour les pauvres

« Et le Roi leur répondra : ‘Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l’avez fait à l’un de ces plus petits de mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.’ » (Mt 25, 40)
« Dans certaines visions économiques étriquées et monochromatiques, il ne semble pas y avoir de place, par exemple, pour les mouvements populaires rassemblant des chômeurs, des travailleurs précaires et informels ainsi que beaucoup d’autres personnes qui n’entrent pas facilement dans les grilles préétablies. Il faut penser à la participation sociale, politique et économique de telle manière ‘qu’elle [inclue] les mouvements populaires et anime les structures de gouvernement locales, nationales et internationales, avec le torrent d’énergie morale qui naît de la participation des exclus à la construction d’un avenir commun.’ Un développement humain intégral sera possible, [ce] qui implique que soit dépassée ‘cette idée de politiques sociales conçues comme une politique vers les pauvres, mais jamais avec les pauvres, jamais des pauvres, et encore moins insérée dans un projet réunissant les peuples. » (Fratelli Tutti, 169)
Si la pauvreté ne se réduit pas au manque d’argent, cette dimension est essentielle. Aujourd’hui, de ‘nouveaux pauvres’ apparaissent dans les antennes du Secours catholique et des accueils d’urgence : des femmes seules avec de très jeunes enfants, des personnes âgées isolées et des étudiants ne trouvant plus de travail occasionnel. L’argent ne sert pas seulement à se nourrir, se soigner ou se loger. Il permet également d’épargner, de se constituer un matelas pour les moments plus difficiles, et donc, de vivre plus sereinement, paisiblement. On sait que la pauvreté est source de maladies, liées au stress, à l’inquiétude du lendemain, en particulier chez les enfants. À l’opposé de la théorie du ruissellement, qui prétend que la richesse percole du haut vers le bas, l’Évangile nous rappelle que les petits et les fragiles sont particulièrement chers au cœur de Dieu et que ce sera d’eux que germera le Royaume. On peut parler d’une théorie de la capillarité, du bas vers le haut, à l’image de Marie-Madeleine, première à proclamer la résurrection.
Seigneur, l’argent n’est pas qu’une monnaie d’échange, il permet aussi de mutualiser des capitaux face aux risques. Fais que nos communautés progressent dans la mise en commun des richesses en vue d’une protection plus universelle des moins nantis et de la terre.
Marcel Remon sj
1- Oeconomicae et pecuniariae quaestiones, texte intégral.
2- Walter Rauschenbusch, théologien et pasteur américain du début du XXe siècle, figure clé de l’Évangile social.