« Vous m’avez fait revivre, en mieux ! »
Claire Jeanpierre, Réseau Mondial de Prière du Pape France, et l'association Limbo
Stéphanie est art-thérapeute au sein de l’association Limbo dont le but est de proposer aux demandeurs d’asile qui ont connu la torture sur leur chemin de migration des moyens pour se remettre debout. Un témoignage source d’espoir.
Quelles personnes accueillez-vous lors de vos séjours à Conques ou des ateliers du mercredi ?
Les personnes qui viennent dans l’association ont connu le traumatisme des camps en Lybie qui ressemblent à des camps de concentration ou de réclusion ; pour la quasi-totalité d’entre elles, elles y ont subi la torture. Elles présentent de nombreux troubles suite à ce choc : stress post-traumatique, anxiété, maux de tête, troubles digestifs, cauchemars, lésions, dépression, insomnie…
Lorsqu’elles arrivent pour un séjour d’une semaine à Conques, elles sont la plupart du temps très repliées sur elles-mêmes, le regard fuyant. Elles ont pris l’habitude de se rendre invisibles dans leur parcours d’exil.
Comment l’art-thérapie vient en aide à ces personnes ?
L’art-thérapie les invite déjà à réinvestir leur corps, ce corps qui a été tellement meurtri. Par les arts vivants – théâtre, jeux de rôle, mime, chant, danse – ou par les arts plastiques – dessin, peinture, collage -, ils peuvent se réinterpréter, s’éloigner d’une situation pesante et trouver un nouvel élan qui participe à leur reconstruction pour ne pas regarder uniquement le passé mais se concentrer sur le présent et sur l’avenir. En art-thérapie, ce n’est pas le résultat produit qui compte mais le chemin pour y parvenir. C’est grâce à ce processus de création que l’on peut faire advenir quelque chose qui n’était qu’une potentialité encore inexplorée.
De quel chemin êtes-vous témoin ?
Au cours des séjours de résilience d’une semaine à Conques, la transformation que nous voyons s’opérer est incroyable ; nous les voyons relever la tête, s’affirmer, sourire et rire ! A chaque nouveau séjour, nous sommes saisis par l’évolution des personnes.
La fonction du groupe est très importante, elle est soutenante ; le fait de partager avec d’autres leur vécu et de nouvelles expériences artistiques permet de recréer du lien. Le lieu de ce séjour dans cette magnifique cité de Conques, la beauté de la nature, la force des pierres, la présence des frères de l’abbaye, l’accueil des villageois, l’empathie des encadrants professionnels et bénévoles, tout cela participe à cette renaissance. On peut dire qu’il y a un avant et un après pour ces personnes qui ont pu bénéficier de ces séjours.
Et après ? Quels liens gardez-vous ?
Nous avons un groupe WhatsApp où nous pouvons tous continuer à échanger. Et puis beaucoup sont à Paris et nous les accueillons aussi aux « Ateliers Limbo ». Ce sont des ateliers de médiation artistique qui ont lieu tous les mercredis matin au Cent-Quatre, un espace de création artistique mêlant le théâtre, la danse et le chant. Cela permet de rester en contact et d’accueillir de nouveaux participants pour maintenir une socialisation indispensable à leur reconstruction.
Je peux leur proposer par exemple de jouer une scène de leur vie future idéale. Cela leur permet de s’ouvrir à la projection, au rêve, à la joie, joie de retrouvailles avec leur famille par exemple, jouée par d’autres participants ; j’ai entendu il y a peu quelqu’un me dire : « Vous m’avez fait revivre en mieux ».
Peut-on guérir des blessures de la torture ?
On ne peut oublier le traumatisme mais on peut mieux vivre avec, en s’éloignant des souvenirs destructeurs. Aucun des participants n’est resté dans sa position initiale. Un chemin peut se faire, chemin d’acceptation, chemin de transformation. En créant, ils accèdent à cette transformation, l’œuvre dépasse son auteur et ouvre sur un nouveau monde possible
Propos recueillis par Claire Jeanpierre, Réseau Mondial de Prière du Pape France, auprès de Stéphanie Dupagne
Visitez le site de l’association Limbo-Réparer les vivants.